Il y a deux sortes de gens, dit-on à Beijing : ceux qui aiment le douzhir et en redemandent ; ceux qui grimacent et prennent peur à la seule pensée d'y goûter. Mais... qu'est-ce exactement que le douzhir et pourquoi la question serait-elle importante?

Eh bien, si elle est importante, tout d'abord, c'est que le véritable Pékinois aime le douzhir — plutôt qu'un simple bol, il en veut trois ! Aimer ou ne pas aimer le douzhir, c'est donc le test ultime, celui seul qui peut trancher : appartenez-vous à l'honorable confrérie des Pékinois ? Ou n'êtes-vous qu'un étranger — pour ne pas dire un barbare ? La question élève la gastronomie au rang de la métaphysique, vous le voyez.

Et aujourd'hui, après des mois et des années dans la capitale, notre reporter, faveur insigne, a été convié par décret des puissances au grand examen.

Oui, mais... qu'est-ce que le douzhir ? Eh ! C'est précisément ce qu'il a demandé... Conduit près du temple du Ciel, dans un local qui a connu de meilleurs jours, mais qu'affectionnent les initiés, le voilà attablé devant un liquide grisatre à consistance de potage, d'où s'élève une odeur âcre. Tandis qu'il rassemble son courage, résolu à tout plutôt qu'à fléchir, autour de lui on retient son souffle...

Eh bien, ma foi... , ce n'est pas mauvais du tout ! Et c'est encore meilleur avec quelques légumes salés et des beignets frits, comme font les connaisseurs. Le douzhir, finit-on par apprendre, est une soupe de soja fermenté, tout simplement. On fait remonter le plat aux dynasties des Liao et des Song, au tournant du millénaire — du premier millénaire ! L'empereur Qianlong en a plus tard fait l'un de ses goûters favoris. Quoi qu'il en soit des empereurs, le Pékinois de la rue a tranché : le douzhir c'est bon, on le boit par plaisir ! Mais surtout, prononcez bien le "er", comme l'on fait à Beijing : douzhir !